République Centrafricaine
La Centrafrique est au cœur de tensions entre la Russie et la France, qui a gelé son aide budgétaire et sa coopération militaire avec son ancienne colonie accusée d'être "complice" d’une campagne anti-française orchestrée par Moscou.
Paris s’inquiète de la très forte influence de la Russie depuis 2018 sur le régime du président Faustin Archange Touadéra, de l'omniprésence de centaines de paramilitaires venus de Moscou mais aussi de l'emprise de sociétés russes sur l'or et les diamants centrafricains.
Depuis janvier, Bangui s’enorgueillit d'avoir reconquis une grande partie des vastes territoires contrôlés par des groupes armés depuis le début de la guerre civile en 2013, grâce essentiellement aux paramilitaires russes. Certains sont présents depuis 2018 mais Moscou en a dépêché massivement fin décembre à la rescousse du président Touadéra, menacé par une offensive rebelle.
Omnipotence de la Russie
La France était le principal promoteur à l'ONU d'un strict embargo sur les armes en 2013 et continue de le défendre aujourd'hui. Or, de 2019 à 2021, la Russie a réussi à obtenir de l'ONU des dérogations pour livrer des armes légères.
Moscou ne reconnaît aujourd'hui officiellement que la présence de 1 135 "instructeurs non armés" dûment déclarés à l'ONU, mais refuse de commenter celle de paramilitaires de sociétés russes de sécurité assurant notamment la garde rapprochée du président Touadéra et la protection de gisements de minerais.
Moscou dispose aussi de quatre généraux à Bangui et un Russe, Valery Zakharov, est l'omnipotent conseiller pour la Sécurité nationale. Le tout est accompagné d'une campagne médiatique aux relents anti-français et destinée "à mettre en scène le réengagement de la Russie en Afrique, un partenaire fiable, pragmatique et qui s’appuie sur une logique de non-réciprocité, à l'opposé d'une France qui imposerait des contreparties politiques à son assistance", analyse Maxime Audinet, chercheur à l'Institut de Recherches Stratégiques de l'Ecole Militaire (IRSEM) en France.
En fait d'"instructeurs non-armés", des ONG, la France et l'ONU dénoncent plutôt des centaines d'hommes en armes du groupe privé de sécurité Wagner, piloté par l'homme d'affaires Evguéni Prigojine, proche de Vladimir Poutine. Une aide désintéressée pour lutter contre la rébellion ? Pas si sûr : depuis 2018, Bangui a accordé des permis miniers à des sociétés russes pour l'exploitation de l'or et du diamant.
Guerre d'influence par procuration
Pour le régime, la France défend l'embargo de l'ONU tant honni et les allégations de "néocolonialisme", voire d'un soutien de Paris à certains rebelles, fleurissent sur les réseaux sociaux et dans les médias proches du pouvoir. A contrario, Moscou a livré des armes et permis de venir à bout des groupes armés, soulignent les mêmes à l'envi, à l'unisson du gouvernement.
Fin mars cependant, un groupe d'experts de l'ONU s’est inquiété de présumées "graves violations des droits humains", "exécutions sommaires massives" et "tortures" par les paramilitaires russes. "Ce sont des machines à piller et à tuer qui servent les intérêts du président et de ses alliés extérieurs, en particulier le groupe Wagner", assénait mardi John Prendergast, co-fondateur de l'ONG Américaine The Sentry, spécialisée dans la traque de "l'argent sale" finançant des guerres.
Le "discours anti-français a permis de légitimer une présence de mercenaires prédateurs russes au sommet de l’Etat avec un président Touadéra qui est aujourd’hui l'otage du groupe Wagner", a fustigé fin mai le président français Emmanuel Macron peu après que Paris eut suspendu ses aides à Bangui."Il faut dire la vérité à ce pays. Nous avons la responsabilité de nos fonds. Avec leur suspension, nous tirons la sonnette d’alarme", explique à l'AFP une source diplomatique française.
Apaisement entre Bangui et Paris
Début juin, la situation s'envenime entre Paris et Bangui. Un Français, Juan Rémy Quignolot, arrêté un mois plus tôt en possession d'armes de guerre à Bangui, a été accusé d'"espionnage", "complot" et "atteinte à la sûreté de l'Etat".
Le sentiment anti-français "n'est pas le but recherché", commente pour l'AFP un haut responsable anonyme du gouvernement. "Nous avons eu l'opportunité d’avoir des armes avec la Russie, nous l’avons saisie. Nous ne voulons plus de groupes armés sur le territoire. Il faut que la France cesse d’avoir une attitude paternaliste concernant le choix de nos alliés", assène-t-il.
L'heure semble toutefois à l'apaisement à Bangui depuis quelques jours. Le Premier ministre Firmin Ngrebada a démissionné le 10 juin, remplacé par Henri Marie Dondra, au profil réputé plus franco-compatible. "Ngrebada était l'homme des Russes, le cerveau de la connexion" avec Moscou, explique à l'AFP Roland Marchal, du Centre de recherches internationales (Ceri) de Sciences Po Paris qui interprète son éviction comme un possible "premier pas dans le rétablissement de la confiance".
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